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Effetmer-Jetez l'encre !
22 août 2008

Je suis né par accident et je roule dans une BMW, par Sallox

Je suis né par accident et je roule dans une BMW

bmw

Elle préparait une soupe, au poulet, si ma mémoire est bonne; tournée vers le four, elle remuait lascivement la nourriture dans une casserole que sa mère lui avait léguée le jour de notre mariage. Sa tête était légèrement penchée vers la gauche et l’autre main nonchalamment posée sur sa hanche. A un moment donné, le trempant dans le liquide afin de vérifier la cuisson, elle lécha avec désinvolture son index comme pour me reprocher mon manquement aux devoirs conjugaux : je ne lui avais pas fait l’amour depuis deux bonnes semaines.

C’était dimanche. La journée fut ensoleillée : on avait emmené les enfants au parc où on leur avait offert une glace. L’aîné, Dieu sait par quelle manoeuvre, avait laissé choir la friandise sur le t-shirt blanc du cadet. Ce dernier avait éclaté en pleurs en laissant échapper un vilain filet de bave, tellement il tenait à son vêtement, si bien qu’il ne tarda pas à lui donner un coup de poing au dos de la tête, à l’aîné, qui, au lieu de riposter, esquissa un sourire empreint à la fois de malice et de honte et lécha encore plus franchement sa glace tout en regardant le ciel du coin des yeux. Sa mère-ma femme- eut toutefois pour lui un élan de tendresse lui ébouriffant les cheveux non sans une certaine fermeté, preuve de sa légère déception.

De retour à la voiture- l’incident de la glace avait clairement écourté notre sortie, j’entrepris d’ouvrir la portière arrière du véhicule aux deux rejetons, pensant que mon geste eût été vecteur de réconciliation entre les deux gamins. Il n’en fut rien, puisque l’aîné, rancunier de nature, tira furtivement son frère par le toupet en lui sussurant des mots genre « tu verras à la maison », ce qui ne manqua pas de m’énerver pour de bon tant je me surpris à émettre un cri de castrat inspiré avant de refermer violemment la portière sur les deux chérubins.

C’est exactement à ce moment qu’une phrase me traversa la tête, comme tombée du ciel :

« Je suis né par accident et je roule dans une BMW. »


Je suis scénariste de feuilletons télévisés, principalement auteur de drames à succès tels que 
« Les dessous de Beyrouth », « Le Despote » et, actuellement, de « Voisins », un sitcom pour adolescents, transposition patente de « Friends », diffusé sur LBC International, tous les mercredis soirs après le journal télévisé. A la différence de beaucoup qui cherchent à vivre de leur plume, je ne peux pas me plaindre. En l’espace de trois ans, mon nom était devenu une référence et une garantie de succès pour les producteurs frileux. Aujourd’hui, je pense que ma carrière n’est pas prête de s’arrêter, à moins que je ne le décide de plein gré pour me consacrer à mon rêve d’enfant : écrire des romans.

Ce n’est qu’à l’âge de vingt-sept ans, pourtant, quand mon père mourut, enfin, me sentant libéré de toute contrainte filiale et sociale, que je décidai de faire de ma passion de toujours, l’écriture, mon gagne-pain. Au début, ce ne fut point facile car il fallait manger avant tout. J’enseignais le français dans un petit collège, à temps partiel, la matinée, et le reste de la journée je rédigeais des faire-part pour un journal local et traduisais en freelance des comédies américaines des années 1990 pour une boîte de sous-titrage. Rien de nouveau pour moi puisque les petits boulots, je ne connaissais que trop. Pendant mes cinq années d’études théâtrales factices, j’ai été, tour à tour, serveur, plongeur, animateur de soirées pour célibataires, cueilleur de fraises, précepteur, distributeur de tracts, souffleur, technicien de lumière, pigiste, traducteur…
C’était donc tard dans la nuit que je m’amusais à écrire des petites histoires macabres où l’assassin l’emportait toujours haut la main. Mes lectures de Poe et de Lovecraft qui avaient jalonné mon adolescence continuaient alors d’exercer sur moi toujours le même ascendant.

C’est d’ailleurs dans les funérailles d’un ami commun que j’avais connu ma future femme, Nina. On était tous les deux très proches du défunt sans pour autant se connaître. Comment oublier cette douce nuit de septembre ? Les connaissances jeunes du mort s’étaient réunies après les funérailles autour d’une bière à fumer des joints à la mémoire de ce dernier. On était assis l’un à côté de l’autre, Nina et moi, à pleurer chaudement notre ami dont nous évoquions nos souvenirs respectifs. Au final, on avait conclu que la vie tenait à si peu de choses. Tellement si peu de choses, qu’un quart d’heure plus tard on baisait à la sauvette, comme des bêtes, dans un sous-bois avoisinant. Si, à la fin de l’acte, j’avais interprété notre délire compulsif comme une espèce de consolation, une allégorie du triomphe de la vie sur la mort, vers la fin du mois, je demandai déjà la main de Nina.

A l’époque, Nina vivait depuis quatre ans à Dubaï où elle occupait un poste de responsable de relations publiques dans une discothèque qui venait de démarrer. Son érotisme naturel lui avait valu, dès l’abord, l’estime du patron. Exerçant son métier essentiellement par téléphone, sa voix sensuelle était devenue un véritable capital pour l’entreprise qui, dès la première année, s’est vue les gains montaient en flèche. Durant les trois ans qui suivirent, bien que toujours aussi appréciée du patron, Nina commençait à s’ennuyer ferme au boulot- la routine- et sa mère lui manquait sérieusement au pays. Notre rencontre- ma demande en mariage notamment- ne pouvait que mieux tomber et fut pour elle l’évènement le plus heureux depuis l’obtention de son diplôme de journalisme. Elle avait enfin trouvé quelqu’un qui la comprenait au-delà de son décolleté.

Après notre union, mettre des enfants au monde ne fut pas pour nous la plus aisée des décisions. Bien qu’alors âgée d’à peine 25 ans, l’horloge biologique de Nina faisait déjà tic tac; quant à moi, ma carrière venait juste de prendre son envol et la venue d’un enfant ne pouvait que la compromettre, au moins le pensais-je. En clair, elle désirait un enfant, moi non, pas tout de suite en tout cas.
Ce fut cette fameuse nuit de saoûlerie du 15 mars qui avait enfin tranché le litige tacite. Je rentrais d’un bal de remise de prix où, je m’étais vu discerner une récompense pour le meilleur scénario avec « On ne mourra pas demain ». Contrairement à mon habitude, je m’étais un peu lâché avec l’alcool, expression de l’instablilté relationnelle que j’entretenais alors avec le monde de la télévision : curieusement, ce monde que je haïssais foncièrement me reconnaissait. De retour à la maison, toujours en proie à cette espèce de vanité amère et à la vue du sein blanc de Nina débordant de la nuisette, j’eus une envie dévorante de lui faire l’amour. Je la réveillai tendrement presqu’en pleurs tellement l’émotion s’était emparée de moi. Une minute plus tard je la baisais comme un demeuré (d’ailleurs c’était la première fois que je tentais la fessée en l’aimant par derrière); l’alcool courant toujours dans mes veines et la tentative de Nina de ralentir la cadence de nos ébats me rendaient encore plus agressif à telle enseigne que, quand j’étais en train de jouir, elle poussa un douloureux « aïe, chéri ! » et mon préservatif se déchira. Deux jours plus tard, le testeur de grossesse colorait d’épanouissment le visage de Nina. Son nid allait enfin remplir sa fonction première : elle était enceinte.

L’aîné fut donc ce qu’on appelle un enfant non désiré, du moins chronologiquement parlant. Pourtant, il n’en fut pas moins aimé, à l’excès même, surtout de la part de sa mère, sûrement une manière pour elle d’épargner à son enfant l’histoire de sa conception accidentée et toute répercussion psychologique que celle-ci pouvait receler. Pas une seconde, elle manquait de lui prouver son affection inconditionnelle. A l’âge de quatre ans déjà, étouffant par cet amour, le gamin avait finit par prendre sa mère en horreur et s’intéresser davantage à mon sujet, moi le principal coupable de sa conception peu catholique. Certes, j’étais tendre envers lui mais c’était tout. Sa compagnie m’indisposait car, comme lui, j’avais été un enfant non désiré. D’ailleurs, à ce sujet, j’ai toujours pensé que l’aîné est un sale brouillon d’une dissertation philosophique finalement hors sujet.


« Je suis né par accident et je roule dans une BMW. » Cette phrase pourrait être le onzième commandement, pensai-je, ou peut-être encore une sorte de verset d’une secte matérialiste. Quoiqu’il en fût, quelque chose au fond de moi me disait qu’il s’agirait plutôt du titre ou de la phrase d’ouverture du roman que je n’avais pas encore écrit. Quand je rentrai à la maison, je me hâtai d’écrire ma phrase sur mon cahier de notes de peur que je ne l’oubliât.

« A table ! », fit Nina une première fois. Moi, j’étais affalé sur mon fauteuil, absorbé à retourner ma phrase dans tous les sens, à concevoir son contexte, son histoire. Au deuxième appel, « A table ! La soupe se refroidit ! », je me levai brusquement comme extirpé d’un rêve érotique ce qui me donna le tournis. Au moment où je marchais vers la table, mon regard croisa celui de la Vierge Marie de cette icône orthodoxe. Et ma deuxième phrase vit le jour. « Je suis né par accident et je roule dans une BMW. Dieu n’existe pas. » Content de ma trouvaille, je lâchais un imposant « A table les enfants ! » qui eut le même impact qu’un rot d’un poisson rouge dans un aquarium.
Désormais, c’était évident; notre nid allait accueillir un quatrième visiteur : un roman.


Sallox

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