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Effetmer-Jetez l'encre !
17 août 2008

Ils tirent sur les mouettes, par Traffic

Ils tirent sur les mouettes                             Mouette




Ils tirent sur les mouettes. Du bord de mer, accoudés aux balcons des constructions balnéaires. La plupart du temps, je n'entends rien. Je ferme la fenêtre du salon et c'est un triple vitrage, on a la clim. Marine me dit que ça la préoccupe. Je lui dis, reste en dehors de tout ça. Que veux tu que l'on y fasse. C'est quand même elle qui voulait que l'on s'installe à l'année ici. Et hors saison, il ne reste que des joyeux tarés dans le coin. On n'est pas si mal après tout. Il y a quelques commerces et quand on prend la voiture, il y a tout le reste, tout ce qu'on a fui, les rues qui grouillent de facteurs problématiques, les centres commerciaux sans buts précis, l'absence de coordination probante de la société en général. Il est intéressant de voir comment les gens se débrouillent pour ne jamais se laisser dépasser trop longtemps, une notion d'adaptabilité sans fin. Mais Marine, elle, son problème, c'est plutôt les trucs qu'elle est seule à voir. Je ne dis pas qu'elle est dingo, juste peu cartésienne, son absolu ne correspond à rien d'identifié. Elle a refusé de se courber de suite. En général, c'est tragique. Moi je corrige notre monde au fur et à mesure là où ça frappe. Elle m'a choisi pour ça, je fais mon job. Du coup, je vis là, dans une petite zone estivale déserte, je trafique des horloges pour lui permettre de prendre son temps.

J'ai ramassé une dizaine de cadavres d'oiseaux derrière les dunes. Ca commençait à pourrir. Les nettoyeurs municipaux se contentent de débarrasser les corps les plus exposés. Ces sont des branleurs finis. Marine voulait qu'on aille marcher vers les plages dans la semaine, je me suis coltiné le débarrassage. J'ai mis à peu près une heure.

J'aime bien la bizarrerie des mecs qui frappent ces oiseaux avec leurs fusils à lunette. Il y en a un qui m'a fait tirer une fois. J'ai descendu cette cible à la con, ce n'est pas dur du tout. Après on a bu quelques pastis en parlant de ces putains de footballeurs que je trouve souvent à chier. Marine aime bien fréquenter les gens de la station balnéaire. Elle revient du village parfois avec quelques histoires sur les mamies qui s'expriment à voix haute, au dessus, mais à peine de leurs cabas garni. Je la regarde tout me raconter avec un sourire et il se reflète dans mes yeux et ricoche à mon cœur. On peut rester une nuit entière dans nos mots à ne rien dire d'autre que l'on se parle. Jamais on ne se dispute vraiment, juste ces conneries de volatiles qui s'éclatent sur la plage. Ca nous sépare un peu, le temps de bien comprendre que l?on est deux peut-être.

J'ai écrit un bouquin qui me rapporte juste assez. Franchement, je ne sais même pas d'où j'ai sorti ce truc. Je pensais qu'en venant vivre ici, j'en écrirai d'autres. Impossible de se concentrer avec tout cet horizon, moi ça me disperse trop. Dès que je sors, le vent fait cliqueter les mats des bateaux, je reviens avec le sable entre les dents et je dis ben, aujourd'hui, on s'en prend plein la gueule. Après on part se coucher ou Marine reste sur l'ordinateur et moi, je me mets à lire les un ou deux bouquins que je connais pas cœur, il y en a un de Michel Houellebecq qui parle de partir à Lanzarote pour y vivre l'ensemble du nihilisme de l'industrie des loisirs en vacances et l'autre est un roman très réaliste et absolument indispensable de Richard Ford qui décrit une forme de bilan de l'occidental moyen ayant par la force des choses renoncé à toutes ses ambitions par simple impossibilité circonstancielle et qui se passe sur trois jours durant le week-end de la fête de l'indépendance au titre éponyme. Par la simple action de lire ces deux livres, je me tiens à distance raisonnable d'un sentiment prononcé de malaise et des fausses directions si facile à suivre.

Vivre ici me coûte environ 2500 euros par mois pour Marine et moi. C'est n'est pas un luxe et beaucoup de gens pourraient faire comme nous. Je ne sais dans quelles proportions se soumettre à l'action publicitaire continu en refusant de déposer une partie des armes compromet. Dans l'ensemble, il y a un monde où l'odeur de la putréfaction n'est plus respirable et il y a un monde où tout reste à faire. Ça me rappelle l'idée de côtes californiennes désertes du début des années 70. Nous n'avons pas l'impression d'être venu ici pour attendre la mort. En fait, nous avons décidé d'avoir un enfant et nous avons aussi décidé un jour ou l'autre de quitter la France. Nous ne savons au juste pour quelle destination. Vivre ici, c'est aussi vivre dans la zone internationale d'un aéroport imaginaire. Et le voyage aura lieu. Quoique l'on laisse à penser.

J'ai bientôt atteint la cinquantaine et Marine elle n'a que vingt six ans. J'ai calculé que j'étais peut-être debout sur le comptoir à dorures d'un café tzigane dans Paris, rue Abbé de l'épée un soir en automne, en train de boire la tsuica, alcool de prune qui donne une vague impression de se frapper la tête dans un poteau à plusieurs reprises lorsque on exagère, le jour où elle est venu au monde dans un hôpital de Rennes. Pourquoi devrais je m'en faire plus que ça désormais. Là dans un petit périmètre de bien être, je me consacre à la meilleure façon de la comprendre et de l'aimer et elle, elle se contente d'être elle. Sans doute n'existe t'elle que pour cela. Je sais que tout est aussi vrai que faux et sûrement ni bien, ni mal mais quand on se réveille le matin, quand dans le regard et les particules salines qui se déposent lentement sur les vitres de la baie qui plonge droit sur le manège fermé et derrière un snack proposant quelques sandwichs sans originalité et encore derrière, une large ligne bleue, quand dans ces petits accessoires terrestres, le rythme de nos coeurs bat souplement et dégage la fureur de toutes les rages contenues des autres, il y a déjà tout l'or du monde.

Et pendant ce temps, ils tirent sur les mouettes.

Traffic

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