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Effetmer-Jetez l'encre !
30 novembre 2008

Smog / 1 - Le restaurant, par Lemon-a

Lorsqu'ils entrèrent dans le restaurant la tension était au max. Goran Pritska avait fait sonner le cellulaire, quelques minutes auparavant, alors que les trois voitures filaient dans la nuit, en bord de mer, entre Faltkerk et Sancovis. Il avait laissé éclater sa colère au téléphone : impulsive, soudaine et brève. De ces colères qui ne se dominent pas, une colère de taureau dans l'arêne. Ceux qui le cotoyaient craignaient Goran Pritska parce qu'ils ne lui connaissaient aucune limite. Il avait déjà ratatiné plusieurs types sur des mouvements d'humeur. Il baisait ses serveuses dans la remise du club et dérouillait les videurs. Goran Pritska était un impulsif qui aimait se la donner et qui, dans le bouillant de l'action, ne savait plus se retenir. Stravinsky n'ignorait rien de ce tempérament. Il conduisait la voiture de tête quand il reçut l'appel et pressa l'accélérateur.
   
Ils étaient douze dans les voitures et ils étaient en retard. Goran Pritska, qui réglait la note, leur avait commandé de rejoindre le restaurant pour 22 heures. A coté de sa propre tablée attendaient douze couverts inoccupés. 23 heures. Ils étaient 12 menés par Stravinsky, trois voitures, qui se garaient devant l'établissement dans un crissement de pneux sur le gravier. Ils descendirent tous, 4 hommes et 8 putes, et se scindèrent au seuil du restaurant.
   
Autour la table de Goran, une dizaine de personnes, tous des hommes, la trentaine passée, moins bien tanqués que lui. Lui, chemise noire ouverte sur son torse musclé, les cheveux argents coupés courts et les yeux gris. Goran Pritska ressemblait à un gros loup, un tigre-loup. A ses cotés Sweet et Nasty la garde rapprochée, puis le plateau de la soirée quatre Djs allemands, leur booker et un journaliste acheté. L'ensemble du restaurant baignait dans une luminosité tamisée. Il fallait traverser la grande salle pour arriver au fond, où se trouvait Goran. Stravinsky et une partie de sa bande, seulement les putes, suivaient l'hotesse qui les menait à la table du patron. Les trois autres attendaient dehors. L'atmosphère était cotonneuse, ouatée comme un morceau de rêve. Stravinsky n'en menait pas large, les intestins noués il salua Goran avec un hochement de tête et un sourire crispé. Le patron savoura la mimique. La colère s'en allait, substituée par l'ivresse propre de la crainte qu'il inspirait. Il plaisanta pour accueillir les nouveaux venus. Les yeux gris et l'attention du tigre-loup se reportaient déjà sur les putains.
   
Les filles prirent place autour de la table vide : élancées, jeunes et tendres, tout comme sur les photos que Stravinsky avait montré, au bureau du club, quelques semaines auparavant. Peut être qu'il était en retard Stravinsky, peut être qu'il ne savait pas s'organiser et que c'était un amateur, mais il fallait reconnaitre qu'il apportait de la chair fraiche. Ces putes portaient le précieux nectar des débutantes : effluve de naïveté, parfum de l'innocence.
   
Golden était grande et blonde, elle paraissait douce, agréable, accessible et distinguée. Elles diffusait quelque chose de multidimensionnel, de la simplicité tonique mêlée de sophistication, elle mixait la lune et le soleil, la neige, le sable chaud, elle lissait les antagonismes et mariait les contraires. A coté d'autres beautés la sienne prenait de l'envergure et s'imposait sans discussion, avec une évidence naturelle qui faisait de Golden une femme exceptionnelle. Goran était hypnotisé. Un instinct prédateur lui remontait des plantes de pieds jusqu'au sommet du crâne. Ni Stravinsky ni personne n'existait plus. Le charme de Golden l'absorbait tout entier.
   
Stravinsky restait debout tandis que les filles s'attablaient. Comme personne ne faisait plus attention à lui, il écarta le pans de sa veste et brandit deux P38 automatiques qui crachèrent leurs balles immédiatement. La poitrine de Goran explosa en une gerbe de sang, dechiquetée par le métal expulsé des canons. La puissance du double impact renversa l'homme en arrière, dans un raffut de chaise et de parquet. Il s'affala lourdement, raide mort. Stravinsky tourna les flingues qu'il maintenait dans chacune de ses mains et visa Sweet et Nasty, les chiens chiens de Goran, ses lieutenants fidèles, assis à gauche et droite du patron assassiné. Une nouvelle paire de balles emporta leur âme vers les gouffres de l'enfer. Et deux cadavres supplémentaires s'écroulèrent de coté, jonchant le sol du restaurant, pissant à gros bouillons leur cervelle éclatée.
   
On aurait pu entendre des cris, des sirènes, des déflagrations, voir de la fumée, des vitres brisées, des femmes et des hommes paniqués. Mais rien de tout ceci ne se produisit. La totalité du restaurant demeura atone, interloquée, péniblement assise dans les notes bleues d'une musique jazz. A la table de Goran, les DJs Allemands, leur booker et le journaliste s'étaient transformés en statue de cire. “Allez les filles, on y va “ commanda Stravinsky aux putes qui se relevaient et récupéraient leur affaires. Ils se hataient vers la sortie et retrouvaient Arnold, Jonny et Kanfr sur le parking. “On va au club, on est parti” annonça Stravinsky.
   
Les 3 voitures démarrèrent dans un rugissement de moteurs, éblouissant la facade du restaurant des lumières blanches de leur plein-phares. Elles disparurent en direction de Faltkerk. Un vent marin bruissait dans les feuillages des arbres, les étoiles approchaient de la terre et rendaient la nuit claire. Et cette nuit là, venteuse et claire, était une nuit qui commençait.

 

   
 

 

   
 

 

   
 

 

    (Les autres épisodes sont disponibles sur le forum)

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